Une trace pour chaque particule

Au premier abord on pourrait être perdu lorsqu’il s’agit d’identifier une particule parmi les différentes traces passant dans la chambre à brouillard. Pourtant, toutes les interactions sont décrites précisément par des modèles physiques où les seules variables sont les vitesses, les charges et les masses des particules traversant le détecteur.

Comment reconnaître la trace d’une particule ? ici on observe des alphas, protons, électrons et probablement des muons issus du rayonnement cosmique dans une chambre à brouillard de grande dimension exposée à 2877 m d’altitude. La largeur de la surface mesure 45 cm.

 

L’image ci-dessus est intéressante car elle permet de montrer sur un même cliché les tracés des 4 particules observable dans une chambre à brouillard. On distingue plusieurs aspects :

  • Certaines traces sont bien droites alors que d’autre font des zig zags. Certaines sont parfois parallèles entre elles (en haut à droite sur l’image).
  • Les traces sont plus ou moins longues (exemple avec la particule alpha et le proton sur l’image) et plus ou moins denses : par exemple la trace de la particule alpha est beaucoup plus contrastée/épaisse que celle du proton ou des électrons.
  • Sous un champ magnétique, certaines traces « font des cercles » alors que d’autres vont tout droit sans être perturbées (image ci-dessous)
cosmic radiation in cloud chamber alpha electron

Rayonnement cosmique dans la chambre à brouillard thermoélectrique soumis à un champ magnétique. La trajectoire de la particule alpha est rectiligne, alors que celle des électrons est courbée.

Identification d’un tracé 

1) Sens de déplacement de la particule

bragg

Pic de Bragg à la fin du parcours de la particule alpha.

delta

Dans quel direction va ce proton ? l’électron éjecté peut fournir une indication : l’angle d’éjection est au maximum de 90°. Cette condition est possible uniquement si le proton se déplace du haut de l’image vers le bas. Le delta ray est éjecté à un angle de 40° environ.

La localisation du pic de Bragg où l’observation de la direction d’émission des delta rays permettent d’identifier le sens de déplacement de la particule.

Le pic de Bragg est facilement observable pour les particules alpha. L’image ci contre montre une particule alpha issu d’une tige à souder en Thorium, situé en bas de l’image. A l’extrémité du parcours, on constate un accroissement important de la densité d’ionisation : la particule vient donc du bas vers le haut

Si le pic de Bragg n’est pas identifiable (ce qui est le cas pour les électrons ou des particules au minimum d’ionisation), la direction d’émission des delta rays, obéissant à la physique classique des collisions élastique, permet de déterminer la direction de la particule incidente. En effet, les delta ray sont émis à un angle maximum de 90° par rapport à la trajectoire de la particule incidente (voir image de droite).

.

2) Caractéristiques du tracé

La densité d’ionisation, la longueur de la trace, la nature de sa trajectoire et la prise en compte des conditions d’observations permettent d’identifier la particule ayant traversée la chambre à brouillard.

Densité d’ionisation, longueur du tracé et trajectoire

particle-loss-4

Perte d’énergie linéique des particules dans l’air. Au minimum d’ionisation (sur la courbe, ~2 keV/cm), les particules ont toutes des vitesses relativistes.

D’après la courbe du dE/dx, plus une particule est rapide, et moins elle perd d’énergie dans la matière jusqu’à atteindre un minimum de perte d’énergie qui demeure à peu prés constant tant que les pertes radiatives ne sont pas trop élevée.

La densité d’ionisation, c’est à dire le nombre de gouttelettes crée par le passage d’une particule est proportionnel à z²/v². Cette proportionnalité est valide si la particule n’est pas à son minimum d’ionisation, c’est à dire si sa vitesse n’est pas trop rapide (un électron de 1 MeV d’énergie cinétique, dans l’air, est à son minimum d’ionisation). Les particules alpha issus des désintégrations (Emax =10 MeV) dans la chambre ne seront jamais au minimum d’ionisation (énergie cinétique équivalente : >1 GeV). Les protons passant de temps en temps dans la chambre à brouillard seront rarement au minimum d’ionisation (énergie cinétique équivalente : 1 GeV). Les muons eux, seront systématiquement « minimum ionizing » leurs énergies cinétique étant de plusieurs centaines de MeV.

Pour les protons, alpha et électrons très peu énergétique, on peut différencier ces particules en reliant les différentes densité d’ionisation des tracés à la relation z²/v².

Un exemple peut se voir avec la première image de l’article montrant les tracés des 4 particules observables. On constate que la trace d’une particule alpha est bien plus ionisante que la trace du proton, car l’alpha est chargé deux fois et que sa vitesse (v=0,05c) est bien plus faible que celui du proton (d’après la longueur de la trace du proton, on estime son énergie initiale entre 5 et 10 MeV, ce qui correspond à v=0,25c).

Un proton et un électron porte le même nombre de charges électriques. La densité d’ionisation devient proportionnel à 1/v².  Un électron est 1836 fois plus léger qu’un proton ce qui lui confère une vitesse élevée même si son énergie cinétique est faibleSi l’on considère un électron de 79 keV, celui ci se déplace à v=0,5c alors qu’un proton doit disposer de 145 MeV pour se déplacer aussi rapidement. Dans ce cas, la densité d’ionisation laissée par ces particules sera identique. Sur l’image du haut de l’article, les delta ray éjectés par le proton ont une énergie entre 50-80 keV (la longueur moyenne est de 3 cm, ce qui correspond à une énergie initiale de 60 keV). Sur la courbe ci dessus, on constate qu’un électron de 50 keV à une perte d’énergie de 10 keV/cm alors qu’un proton de 10 MeV, une perte de 70 keV/cm. La trace du proton à donc une densité d’ionisation bien plus élevée que celle des électrons. De manière générale, la trace d’un électron sera beaucoup moins ionisée que celle d’un proton qui se déplacera systématiquement plus lentement qu’un électron dans la matière. Exemple d’identification de particules sur une photographie et un autre ici.

Un électron étant facilement à son minimum d’ionisation et un muon l’étant systématiquement, il sera impossible de discriminer de par la mesure de la densité d’ionisation d’un tracé, un muon d’un électron relativiste. Cependant, un électron est 206 fois plus léger qu’un muon et il ne se comportera pas de la même façon dans la matière, par rapport à la diffusion multiple et sous l’influence d’un champ magnétique.

Même si un électron est à son minimum d’ionisation en donnant une trace parfaitement rectiligne, sa trajectoire deviendra vite erratique (il fera des « zig zag ») car ce dernier pourra perdre rapidement une grande partie de son énergie par Bremsstrahlung lors de la collision avec un noyau et subir d’avantage la diffusion coulombienne des noyaux lorsque son énergie sera faible. Un muon, du fait de sa masse plus importante, ne perdra que très peu d’énergie par Bremsstrahlung et ne fera jamais de « zig zag »  (sauf à très faible énergie) caractéristique des électrons. La faible masse des électrons permet de les dévier aisément par un champ magnétique, même si leurs vitesses sont élevées. Un muon ne sera pas ou très peu dévié par un champ magnétique (du moins par les intensités de champ magnétique accessible par les expériences amateurs).

Qu’observe t-on du rayonnement naturel dans une chambre à brouillard ? 

Suivant que l’on se trouve au niveau de la mer, en altitude, dehors ou à l’intérieur entouré de murs plus ou moins granitique, ou à une latitude particulière, les observations seront différentes dans la chambre à brouillard. Dans tous les cas, seul 5 particules sont observable : électrons, positons, muons (+ et -) protons et particules alpha. D’autres particules sont observable comme les pions, les particules étrange type kaons et lambda mais elles sont trop rare pour pouvoir être détectée dans des chambres à brouillard à diffusion (fonctionnant suivant un plan horizontal).

Les parois en verre de la chambre à brouillard mesurent 0,5 cm d’épaisseur. Pour traverser la paroi en verre, il faut qu’un électron dispose au moins de 2 MeV d’énergie cinétique. Un électron issu de la désintégration d’un radionucléide se trouvant dans les murs de la pièce par exemple, n’a statistiquement jamais une énergie aussi élevée (au maximum de 2,2 MeV issu d’un noyau de Pa234 de la famille de désintégration de l’Uranium 238, à cette énergie il faut soustraire les pertes dues à l’épaisseur du béton ou à la longueur d’air traversée par la particule avant d’atteindre le détecteur).

Les électrons observés dans la chambre à brouillard sont donc crées majoritairement dans la chambre, plus précisément par des rayonnements gamma interagissant dans les parois en verre par effet photoélectrique, Compton ou par création de paires. On observe parfois des cascades électromagnétique dues à l’interaction de rayonnement gamma ou issu du rayonnement de freinage d’électrons.

Quelques muons sont susceptibles de traverser la chambre, mais le flux reste faible : environ un muon toute les 13 minutes au niveau de la mer (spectre horizontal)…

Les protons sont crées localement par les réactions de spallations des hadrons sur la matière avoisinante. Cependant, un proton doit avoir une énergie minimum de 30 MeV pour traverser 0,5 cm de verre. On peut espérer voir passer un proton dans la chambre à brouillard toutes les 3 minutes environ, au niveau de la mer. Les neutrons, parfaitement invisible dans la chambre, peuvent donner lieu à des réactions de spallation, mais cela reste un événement assez rare au niveau de la mer. 

Les particules alpha observées dans la chambre proviennent de l’infiltration de gaz radioactif naturel, le Radon. La demi-vie du Radon 222 étant de 3,6 jours, celui-ci à le temps de s’accumuler dans un local avant de se désintégrer. Ainsi, il flotte toujours dans l’air d’une pièce une petite quantité de radon qui peut se désintégrer dans la chambre.

 Les clichés d’interaction présentés dans les articles suivants proviennent de chambres à brouillard à expansion, à diffusion, de chambres à bulles ou de plaques à émulsion réalisés au cour du siècle dernier. La plupart des interactions présentées sont tout à fait observable dans une chambre à brouillard thermoélectrique, pour peu que vous disposiez des mêmes conditions expérimentales (source de rayonnement, champ magnétique, nature du gaz introduit dans la chambre, chance…).