Interaction des particules alpha

Les images ci dessous sont tirées du livre remarquable de Bothe, Gentner et Maier-Leibniz, publié en 1940 : An Atlas of Typical Expansion Chamber Photographs. Elles sont toutes prises dans une chambre à expansion de Wilson.

Recul du noyau lors de sa désintégration α

Recul des noyaux lors de la désintégration alpha. F.joliot, 1934

Image ci contre : Dans cette chambre à brouillard la pression est 76 fois moindre que dans les conditions standard. Comme la densité électronique du milieu est plus faible les noyaux ont des parcours plus grand car le nombre de collision inélastique avec les électrons atomique est réduit. On peut de cette façon mettre en évidence le recul d’un noyau dû à la désintégration alpha. Lorsqu’un noyau émet une particule alpha, le noyau et la particule ont tous les deux la même charge (+) et se repoussent électrostatiquement. Le noyau bien plus lourd que la particule alpha, reçoit peu d’énergie cinétique lors de la répulsion électrostatique tandis que la particule alpha très légère, part avec une quantité d’énergie cinétique élevé du fait de la conservation de la quantité de mouvement mnoyauVnoyau=mαVα. Par exemple dans la réaction 210 Po => 206 Pb+α, l’énergie cinétique de la particule alpha est de 5,77 MeV et celle du noyau de plomb 0,11 MeV. La particule alpha peut parcourir avec cette énergie jusqu’à 4 cm dans l’air (à pression standard) tandis que le noyau de plomb très fortement ionisé (charge Z) et très lent, seulement une centaine de micromètre (la perte d’énergie dE/dx, est proportionnel au Z²/v² de la particule).

Sur la photo ci dessus du Radon 219 (gazeux) à été injecté dans la chambre.  Le noyau se désintègre en 215Po en émettant une particule α1 (6,5 MeV). Lors de l’expulsion de la particule α1, le noyau 215Po « recule », perd momentanément une partie de son nuage électronique, il devient ionisé ce qui permet au noyau de former une trace de son parcours dans la chambre (les chambres à brouillard ne détecte que le passage des particules chargées dans la matière). La flèche bleu sur l’image indique la direction du déplacement du noyau 215Po. La demie vie du 215Po étant très faible (1.15 ms), il se désintègre immédiatement en 211Pb. La désintégration se fait par une autre émission alpha α2 (7,4 MeV): là aussi le noyau de 211Pb recule (flèche blanche) pendant l’éjection de la particule α2 et percute au tout début de sa trajectoire un noyau massif du milieu (oxygéne, azote) qui recule aussi sous l’impact de 211Pb (flèche jaune).  Sous l’effet du recul dû à l’émission d’une particule alpha les noyaux de 215Po et de 211Pb acquièrent respectivement des vitesses de 336 km/s et de 357 km/s (dans le vide) ce qui leur permet de franchir une distance de 0,1 mm dans l’air à pression standard. La pression est très réduite dans cette chambre (1 cm Hg) ce qui permet d’observer des traces de quelques mm de longueur.

Les noyaux de recul présentent une ionisation notablement plus forte que les particules alpha à cause de leurs faibles vitesses et leurs charges élevées. On peut noter que l’épaisseur de la trace du noyau collisionné (flèche jaune) diminue à la fin du tracé car la charge effective du noyau diminue et donc la perte d’énergie (le noyau capture au fur et à mesure de son ralentissement des électrons du milieu jusqu’à redevenir un atome neutre immobile ne laissant plus de traces). Ce noyau du milieu percuté (faisant la trajectoire indiquée par la flèche jaune) ne peut pas être un noyau léger comme l’hydrogène car sa trace n’est pas caractéristique d’un proton : la grande densité d’ionisation indique qu’il s’agit d’un noyau fortement chargé toutefois à un niveau moindre que 215Po et 211Pb (c’est donc un noyau plus léger que ces deux derniers éléments), et sa trace de très faible longueur à un noyau massif lent. Un proton (noyau d’hydogéne) produit une trace de plus faible épaisseur qu’une particule alpha avec une portée dans l’air à pression standard d’une trentaine de cm pour 5 MeV d’énergie cinétique.

Désintégration alpha d’un noyau excité

Désintégration alpha d’un noyau de 214Po excité (1926)

decay scheme

Origine du peuplement des états excités

Une source de 214Bi diaphragmé est placé dans la chambre dans l’air à pression atmosphérique. Le 214Bi se désintègre par émission béta- et devient le 214Po. Le 214Po se désintègre par émission alpha en 210Pb. On observe les particules alphas de la désintégration 214Po=>210Pb. On y voit une particularité : une particule alpha a un parcours de 9 cm alors que toute les autres ont un parcours normal de 6.9 cm. Ce phénomène provient des états excités du noyau de 214Po peuplés par la désintégration du 214Bi. Lorsque le 214Bi se désintègre en 214Po le schéma de désintégration montre que 19.1% des rayonnements béta sont émis vers le niveau fondamental du noyau de 214Po. Les rayons béta de cette transition ont alors une énergie maximale de 3.27 MeV. Cependant, le schéma montre que le 214Bi peut émettre des rayonnements béta de moindre énergie en créant un atome de 214Po dans un état excité. Si l’on prend un exemple, 3.1% des électrons de désintégration du 214Bi sont émis à une énergie max de 3.27-1.543=1.72 MeV, créant un noyau de 214Po excité à 1,543 MeV. Le retour du noyau à l’état d’énergie fondamental  se fait (entre autre) par émission de rayonnements gamma (flèche pointillée jaune) dans l’exemple, par émission d’un gamma de 1.543 MeV. Le noyau de 214Po une fois dans l’état fondamental se désintègre par émission alpha en peuplant quasiment à 100% le niveau  fondamental du 210Pb (certaines particules alpha sont émises à moindre énergie et donne aussi des noyaux de 210Pb excités). Nous avons vu qu’il était possible que des noyaux de 214Po soit crées dans des états excités. Il arrive parfois que l’état excité a une vie si courte que le noyau se désintègre avant qu’il ne se désexcite par émission gamma. La particule alpha de désintégration reçoit alors, en plus de l’énergie normale de désintégration (ici 7.83 MeV), l’énergie d’excitation économisée (par ex +1.543 MeV ou + 2,118 MeV). Le schéma montre que quelques niveaux du 214Po parmi des dizaines.

Diffusion multiple des alpha dans des gaz léger et lourd

alpha scattering

Particules α d’une source de Polonium diaphragmé par une fente dans différent gaz.
A gauche : Air et partie egale d’eau et d’alccol sous 18 cm Hg
Au milieu : Gaz lourd Xe + alcool sous 10cm Hg
A droite : idem que précédemment, mais sous 3.5 cm d’Hg. Dans la partie supérieure du diaphragme, les particules α sont ralenties par 18 μm de mica

L’interaction des particules α avec le champ électrique des noyaux du milieu se manifeste par de petites déviations de leur trajectoire qui donne au total une faible courbure, irrégulière, à la trajectoire. Ces déviations augmentent rapidement lorsque la vitesse des particules diminue; on peut constater sur les photographies l’augmentation de la diffusion multiple vers la fin des trajectoires notamment sur l’image à droite où la feuille de mica en partie supérieur diminue l’énergie initial des particules. La diffusion multiple augmente fortement avec le numéro atomique de la substance traversée. Sur les photographies au milieu et à droite on remarque que les déviations des particules α dans le Xénon (A=132) peuvent atteindre des angles important, jusqu’à 180° (le parallèle peut être fait ici avec l’expérience de Rutherford avec la diffusion des particules α sur une une feuille d’or) . Lorsque les particules alpha sont déviés par des noyaux lourd, elle perdent de l’énergie cinétique qui est transféré au noyau (jusqu’à 12 % de l’énergie cinétique initiale lors d’un choc frontal avec un noyau de Xe) raccourcissant leurs parcours dans le milieu.

A gauche : Diffusion de particule alpha dans l’hydrogène. La longue trajectoire fine partant vers la droite est le proton.
Au milieu : Diffusion de particules alpha dans du gaz Hélium
A droite : Diffusion de particules alpha dans l’azote gazeux

La diffusion des particules sur les noyaux obéit aux lois des chocs élastique. Les angles que font les directions des particules secondaires avec la direction initiale sont liés aux vitesse des particules avant et après le choc et sont donné par le rapport des masses des deux noyaux, ainsi que les lois de conservation de la quantité de mouvement et de l’énergie. A l’issu d’une collision élastique non « frontal », l’angle θ entre les deux particules vaut :

  • θ < 90° si mprojectile>mcible
  • θ > 90° si mprojectile<mcible
  • θ = 90° si mprojectile=mcible

La photo de gauche montre la diffusion d’une particule alpha sur un noyau d’hydrogéne. Le proton produit une trace de moindre ionisation car sa charge nucléaire est plus faible et sa vitesse plus grande (un choc α-p peut donner jusqu’à 60% de l’énergie cinétique de l’α au proton). Comme mα>>mH l’angle résultant est inférieur à 90°.

La photo du milieu montre la diffusion d’une particule alpha sur un noyau d’hélium. Comme mα=mHelium l’angle résultant vaut systématiquement 90° (les deux angles de diffusion sont de 38° et 50°).

La photo de droite montre un exemple de diffusion sur un noyau plus lourd. La particule α a subit une quasi rétrodiffusion sur un noyau d’azote avec un angle de 142°. Le paramètre d’impact était ici très faible (percussion presque centrale sur le noyau d’azote). Le noyau d’azote emporte dans cette collision un peu moins de 70% de l’énergie cinétique de l’α.

Les figures ci dessous montrent dans une chambre à expansion de diamètre 25 cm des chocs de particules α issu d‘une source de Polonium sur des noyaux de fluor (A=19) et de chlore (A=35). L’angle θ de déviation entre les particules est > 90°.

alpha scattering heavy nucleus

A gauche : diffusion des alpha dans le Fluor
A droite : diffusion des alpha dans le Chlore.
La chambre à une diamètre de 25 cm, les rayons alpha viennent du bas.

Réaction de transmutation α

Comme vue dans les processus de diffusion si l’énergie d’une particule alpha est suffisante pour pénétrer un noyau et si le paramètre d’impact est nul, une réaction de transmutation peut se produire. Blackett photographia pour la première fois des réactions de ce genre en 1932 dans sa chambre automatisé à expansion. Sur 23 000 photographies représentant 400 000 trajectoires de particules alpha du 212Po (Emax : 8.9 MeV) et du 212Bi (Emax : 6.2 MeV), 8 montrèrent des transmutations de noyaux d’azote. Sur chacune de ces photographies il apparaît après le choc qu’un proton et un noyau de recul ; la particule α disparaît en étant capturée par le noyau. L’équation de la réaction s’écrit :

Nitrogen transmutation Blackett equation

Le noyau intermédiaire de Fluor 18 est formé dans un état fortement excité de vie très brève. Cette réaction est possible si la particule alpha à une énergie minimum de 4,99 MeV ou de 1,53 MeV, si elle est capable de passer la barrière Coulombienne par effet tunnel.

Nitrogen transmutation Blackett

Transmutation de l’Azote par une particule alpha. Energie de la particule au moment du choc : 3,9 MeV (bien que l’énergie seuil pour vaincre la répulsion Coulombienne est de 4,99 MeV, la particule à une certaine probabilité de passer sous cette barrière par effet tunnel : l’énergie minimal nécessaire n’est plus que de 1,53 MeV). Le parcours du proton (se dirigeant vers la gauche) est de 3,5 cm, le noyau de recul (17O) 0,278 cm. Les rayons alpha les plus courts correspondent au 212Bi, les plus long au 212Po. Blackett, 1932.

 

Si l’énergie de la particule alpha est suffisante (et si b=0) la particule alpha peut pénétrer le noyau et faire une réaction nucléaire. Blackett en 1925 fut le premier à capturer sur film photographique une transmutation d’un noyau d’azote en oxygène en utilisant des particules alpha du 212Po (Emax : 8.9 MeV) et du 212Bi (Emax : 6.2 MeV).

Blackett transmutation 1925

Les particules alpha viennent du bas. L’une d’elle à gauche percute physiquement un noyau d’azote de l’air. La particule alpha est capturée et le noyau devient un noyau de Fluor 18 excité et très instable. Ce noyau se désintègre aussitôt en Oxygène 17 émettant une particule qui laisse une trace faiblement ionisée caractéristique d’un proton. Le noyau d’oxygène à reculé sous l’impact de la particule alpha primaire et collisionne avec un autre noyau avant la fin de sa trajectoire (on peut observer une très petite trace vers la gauche lors du changement de direction du noyau d’oxygène). Le noyau capture peu à peu des électrons à mesure qu’il ralentit et devient neutre formant un atome d’oxygène 17 stable. La trace disparaît, dès la neutralité de l’atome atteinte. Un autre cliché.

Les énergies des particules alpha des isotopes naturels sont tout juste suffisante pour faire de telle réactions (il faut prendre en compte l’énergie perdu par la particule pendant son parcours avant qu’elle ne rencontre le noyau cible). Les transmutations sont des événements exceptionnel dans les chambres à brouillard : sur 23.000 photographies effectuées par Blackett entre 1921 et 1924 dans une chambre à expansion automatisée seul 8 photos ont montrées des cas de transmutation nucléaire avec des noyaux d’azote. Pour que cette réaction puisse se produire il faut que la particule alpha puisse vaincre la répulsion Coulombienne du noyau d’Azote ce qui est possible si l’énergie cinétique est au minimum de 4,99 MeV . Cependant une particule alpha à une probabilité non nulle de passer la barrière Coulombienne par effet tunnel : l’ énergie seuil de la réaction devient égale à 1,53 MeV).

 

A propos des conditions expérimentales de l’époque : les 23.000 photographies ont été obtenues avec une chambre de Wilson faisant une expansion toutes les 10 à 15 secondes. En une journée jusqu’a 1200 photos pouvaient être prises. Le système de prise de vue est trés similaire à la photo suivante :

On the Design and Use of a Double Camera for photographing Artificial Disintegrations . Blackett,1929.